jeudi 28 mars 2024
Mon compte
Vous n'êtes pas identifié
.
Paiement en ligne sécurisé par e-transaction du Crédit Agricole
Panier littéraire
Le panier est vide

À compter du 29 août 2018 les connexions sont cryptées pour la sécurité de vos paiements.

Trouver le cœur pour parler aux montagnes

Alain Mabanckou

Chayotte : Très beau chant d'amour, Black Bazar, blog d'Alain Mabanckou, 21 juin 2011

 

Elle s'appelle Marie-Christine Gordien. Vous ne l'avez certainement pas encore lue, c'est son premier livre. Chayotte – texte poétique liminaire qui donne le titre à l’ouvrage constitué de trois autres textes brefs, L’Apostrophe des côtes, L’inconsistance des pierres et La Première mer – s’ouvre avec deux citations, une de Patrick Laupin, l’autre d’Edouard Glissant, « père » de l’ Antillanité ou encore du Tout-monde, chantre de la " poétique de la relation".

 

L’objet littéraire non identifié qu’elle nous propose est à la fois un chant d’amour, un écho qui va plus loin et nous montre que la concision d’un ouvrage (64 pages) est parfois une nécessité pour mieux capter la parole. Dans le texte d’ouverture, on pense immédiatement au grand poète Guyanais Léon Gontran Damas et ses fameuses poupées noires dans « Limbé » lorsqu’ici Gordien entonne une lumineuse ode à Chayotte : Poupée blanche désarticulée. Poupée noire dont les membres sont cassés. Ou encore au même Damas et son « Hoquet », ici en clin d’œil par la poétesse : Chayotte doit s’habituer aux bruits./ Il y a l’orgue qui hurle do mi la do mi la./ l’orgue ciel pansement éponge tout.

 

Le deuxième texte, L’Apostrophe des côtes est le portrait tendre « de l’homme dont la vie a passé entre le fracas des rythmes et des robes longues », cet homme pour qui « les jambes des femmes furent marines », « voyages » et « océans », cet homme qui « souriait tout seul, sanglé dans le chagrin ». Mais saura-t-il que « l’étreinte est une terrasse écrasée sous le soleil où personne ne vient plus jamais » ?

 

L’Inconsistance des pierres convoque notre regard à la fois sur la nature, la vie quotidienne, le rapport père-fille, la mort. Car il s’agit surtout de « ne pas déranger l’émerveillement de ces eaux scintillantes ». Il faudrait, nous dit la poétesse, trouver du cœur pour parler aux montagnes. Enfin, La première mer pourrait être un « silence très long » dans lequel Gordien questionne en toile de fond l’identité. « Son père n’avait pris aucun bateau… Sa mère n’était pas blanche. Sa mère n’était pas noire. » Rien n’est jamais précis en ce monde, et « il reste les arbres pour dire l’amour inconnu…».

Marie-Christine Gordien vient de publier un étrange premier livre qui frappe par la maturité de l’écriture et la force d’un style tranchant avec les tonnes de lamentations que certains, de nos jours, font souvent passer pour de la poésie. Saluons donc au passage le courage de son éditeur qui est basé en Rhône-Alpes - dans l'agglomération de Roanne - qui a pris le courage de promouvoir l'indépendance du talent, quelle que soit sa forme…

Lire le texte original sur le blog d'Alain Mabanckou