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Des retombées immédiates ou primitives de l’âme

Marius Alliod

Lettre à l'auteur du 29 avril 2010

Il ne faut point l’y chercher, car, laisses-tu entendre, il n’y a pas d’âme, c’est-à-dire pas de disposition à aimer ni à gémir ni à se réjouir dans l’or du temps. Mais alors, comment se sont écrites par tes mains ces retombées immédiates ou primitives de l’âme que nos maîtres en philosophie nous disaient dans leurs leçons d’autrefois ne pas devoir confondre ?

Faut-il penser qu’elles sont à ce point primitives que nous en fûmes dotés avant que le langage ne soit détourné de son élan métaphorique pour autant qu’il est asservi à notre faculté d’ordonner le monde ?

Sont-elles à ce point immédiates qu’elles s’expriment dans des phrases qui échappent à la prison du sens ou tellement le sens excède le texte ?

Les tiendrais-tu ces phrases retombées de l’âme, non pas d’avant ton immersion dans le langage mais d’avant ton adaptation à l’espace balisé de la cité évoluée où une mère aimante t’a déposée, car déjà la barbarie dont s’agit entre les lignes que tu as tracées n’est plus celle innocente de la jungle, mais celle transmise d’au milieu de nous par d’impayables morts ?

Serait-ce l’écho de ta visite au désert que tu soumettrais à notre attention, pour nous amener à percevoir qu’il nous a fallu des millions d’années avant de savoir qu’entre le vrai dieu et le vrai homme notre place était oscillante et notre identité indécise ?

Pendant combien d’années lumière as-tu dû, ma chère Anne, séjourner outre tombe, à la pâle lueur de l’éclairage axial pour que s’écrive sur les pages lumineuses de ton fascicule, une parole loquente, je veux dire celle qui ne peut pas s’écrire parce que l’écriture est réputée non loquente, mais qui se suffit à elle-même et qui a pour seule justification celle d’apparaître comme toute poésie ?

Avais-tu pour pensée tout au long de tes 57 pages de nous faire savoir que nous les hommes vivants, nous ne pouvions pas nous instituer nous-mêmes, il nous fallait le secours des morts et aussi celui des non vivants de la nature morte parmi lesquels nous retournerons bientôt, comme si nous n’avions jamais eu, s’agissant d’exprimer les fins dernières de notre âme que l’espace minuscule du commentaire ?

Car le lieu où se cherche encore le maître de la parole est celui d’une voix que nous avons perdue, sauf à de rares instants où retentissent les mots que nous n’avons pas appris et les sons qu’une seule fois entre hasard et nécessité, notre plume a pu recueillir.

Chère Anne, Merci pour ceux que tu as consignés dans « ne cherchez plus l’or du temps ».