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Le partage d'une aventure blanche

Jean-Louis Baudry

Lettre à Patrick Laupin du 11 septembre 1985

...au moment de vous écrire, je dois constater qu’aussi attentive qu’elle fût, ma lecture n’en était pas moins insuffisante. Mais je ne m’en fais pas le reproche : C’est la qualité première de vos écrits, leur pouvoir que de nous faire sentir l’insuffisance de notre écoute, de notre regard, de notre attention. C’est en ce sens, me semble-t-il, que se révèlerait sa véritable affinité avec ce que les philosophes et parfois les poètes ont nommé « L’être ».
Serait-il alors excessif ou paradoxal d’affirmer que Ces moments qui n’en deviennent qu’un serait comme une phénoménologie (une phénoménologie naturellement poétique ) de l’être. Ces moments innombrables d’un seul et même événement dont nous tenterions de saisir l’état naissant.
Mais si nous sommes tournés vers ce moment, nous devons habiter un temps non définissable fait de « L’insistance du passé et [du] présent qui prend maintenant la forme d’une attente ». Est-ce alors reconnaître avec ce moment initial, avec ce temps zéro, la dérivée de tout récit, l’inimaginable origine d’un récit qui, s’il avait jamais été possible, se fût confondu avec notre biographie. Il l’est sans doute, les romans, les biographies existent ; mais, nous le savons même si nous ne pouvons nous en passer, c’est par artifice.
Vous saisissez cet instant aussi de la chute du présent en mémoire, et de la mémoire en oubli « tu disais c’est tout ce qui me reste comme un souvenir oublié de nous ». Sensation d’origine : toujours donc moment d’une naissance qui serait avec celle de la sensation celle du sens. On en perçoit la précarité si la sensation pour exister réellement, pour devenir « être de mémoire », « être pour l’oubli » doit être ramené à la surface de la conscience par les fils si ténus, infiniment fragiles et cassants du langage.
Mais le mouvement inverse est aussi juste, aussi essentiel. Au lieu d’un présent qui ne se sera jamais réellement constitué, tombant au-delà de la mémoire, pourrait-on ramener du fond de la mémoire ce qui appartient forcément à l’oubli. Il me semble que c’est de cet autre mouvement que votre livre tient sa mélancolie.
« A la fois exposé et toujours en retard, demeure cette peur incessante causée par l’absence de présent, cette lacune, cet espace vide, irrepérable, jamais comblable ».
Pas plus que « le présent », ce moment improbable de mémoire – dont pourtant l’acte d’écrire est la condition et la substance – ne saurait être présent.

Puis-je vous confier alors que peu d’écrits autant que le vôtre m’évoque cette commune expérience de quelques-uns, cette communauté qui ne les rassemble pas, ce partage d’une aventure blanche qui les laisse autant solitaires.